Séminaire inter-laboratoires MMSH « De la fabrique des autorités religieuses » (2020-2021)

De la fabrique des autorités religieuses : qualifications, légitimations et ancrages des "clercs" de l’islam, du christianisme et du judaïsme en Méditerranée

Responsables scientifiques : Katia Boissevain (Idemec, AMU), Marie-Laure Boursin (Mesopolhis), Elsa Grugeon (Mesopolhis), Sabrina Mervin (CéSor, Ehess), Norig Neveu (Iremam).

Thématique du séminaire

Réflexion interdisciplinaire sur les transformations à l’œuvre dans la formation des clercs religieux dans les trois « grandes » religions du Livre et les conséquences sur leurs profils, leurs circulations, leurs modes de légitimation et leurs modes d’intervention dans l’espace public.

Mots-clefs : autorité religieuse, formation, légitimation, mobilité, espace public.

Argumentaire

La question de la formation des « autorités religieuses » peut faire débat dans des pays où religion et État sont séparés, quand elle s’y oppose, ou que lui-même s’impose. L’est-elle moins lorsque l’État se définit comme détenteur d’une légitimité religieuse ? La gestion de la diversité religieuse apparaît comme une problématique partagée et la plupart des États sont confrontés à l’émergence de revendications et attentes de la part des fidèles. Ceci d’autant qu’à partir de la fin du XIXe siècle, les institutions religieuses et leurs représentants connaissent d’importants changements qu’ils soient internes ou dus à des contraintes étatiques (loi 1905 pour la France, fin du califat ottoman, apparition du réformisme musulman, etc.) redistribuant leur implantations et prérogatives. Ils se trouvent parfois à négocier avec de nouvelles structures étatiques (régimes communistes, révolution iranienne et création de l’État d’Israël). Ces autorités religieuses sont pourtant, les premières à être confrontées et à devoir gérer la formation de leurs clercs.

Quelles sont les institutions de formation, quels curricula proposent-elles et à qui s’adressent-elles ? Parallèlement, quels sont les acteurs de la transmission et de sa pérennisation ? La formation des clercs sera ici considérée au-delà de l’institution, qui peut délivrer un diplôme professionnalisant, comme toute forme de transmission (par un maître ou familiale) d’un savoir érudit, mais aussi d’un charisme ou d’un savoir être, faire et dire. L’un des premiers constats établit par l’équipe organisatrice de ce séminaire est la multiplicité des curricula proposés aux clercs, y compris lorsqu’ils appartiennent à une même religion, même rite ou école juridique. Selon les périodes, les contextes historiques, les publics et les territoires concernés, différentes disciplines doivent être maîtrisées par les clercs : sciences religieuses, sciences humaines, savoirs encyclopédiques, enseignements soufis, maîtrise des langues. Dans ce contexte, les supports de la formation sont multiples et s’adaptent aux évolutions technologiques : prêches, initiations, cassettes, vidéos, sites internet, etc. Ces curricula sont révélateurs des attentes des institutions ou personnes qui les mettent en place : écoles traditionnelles, centres de savoir ésotérique ou exotérique, associations ou encore universités contemporaines. Ceci pose nécessairement la question du rôle du politique dans l’élaboration de ces curricula et interroge dans une perspective comparatiste l’idée d’une sécularisation de la formation des clercs et ses conséquences à différentes échelles. C’est également le lien entre dynamiques locales de formation et inscriptions des parcours dans des logiques transnationales qui sera investigué au cours des séances.

Ce séminaire inter-laboratoires propose ainsi d’interroger, de manière comparative, les transformations à l’œuvre dans la formation des clercs religieux et les conséquences sur leurs profils, leurs circulations, leurs modes de légitimation (islam, christianisme et judaïsme en Méditerranée et en Europe). Pour ce faire, une attention sera portée, selon les contextes, aux profils des clercs masculins et féminins quant à leurs qualifications. Ce qui revient à interroger les compétences en actes et les savoirs mobilisés. Ensuite, partant du constat de l’implantation transnationale des institutions et de leurs lieux de formation, nous analyserons les circulations des savoirs, des supports et des personnes. Comment à partir des centres et des périphéries, les clercs s’organisent-ils ou non en réseaux ? Comment cette structure hiérarchique mouvante marquée par la notoriété de certaines institutions et formateurs a-t-elle des incidences sur les modes de légitimations ? Nous nous intéresserons aux processus de légitimité organisés par les institutions et validés, ou invalidés, par les fidèles, sans oublier de nous interroger sur les nouvelles modalités d’intervention de ces clercs dans l’espace public comme de leurs rapports au champ politique.

Programme 2020-2021

De la variation d’échelle des autorités : entre autorités diffuses, transnationales ou décentralisées ?

Jeudi 5 novembre 2020, 10h-13h, en visio Zoom

Stéphane Lacroix (CERI, Sciences Po), « Da’wa Salafiyya face à l’Arabie saoudite et aux oulémas locaux. »
Claire de Galembert (CNRS/ENS-Paris Saclay), « L’aumônerie aux prises avec une réactivation de la matrice gallicane. »

Autorité religieuse et outil numérique

Jeudi 10 décembre 2020, 9h30-13h, en visio Zoom

Brigitte Maréchal, (CISMOC-IACCHOS-UCL), « Réflexions socio-anthropologiques sur les modalités d’émergence de nouvelles formes d’autorités religieuses sunnites à l’ère numérique. »
André Julliard, « Approches ethnologiques de la dévotion à St Nicolas sur le web : le site anglican stnicholascenter.org »
Ahmed Oulddali, (chercheur associé à l’IREMAM), « La mobilisation de la rhétorique hanbalite par les cyber-prédicateurs francophones. »

Autorité textuelle – Texte et autorité

Jeudi 14 janvier 2021, 10h-13h, MMSH, salle Duby et en visio Zoom

Younes Van Praet, (Université de Rouen, DYSOLAB), « Transformations de l’offre de formation francophone à l’islam (2010-2020) et analyse comparée des pratiques didactiques de l’enseignement du fiqh. »

L’intervention visera à offrir dans un premier temps un aperçu des multiples transformations qu’a connu l’offre de formation à l’islam au cours de cette dernière décennie (2010-2020) : le déploiement des réseaux, la massification par le e-learning, l’évolution des contenus comme des profils d’enseignants... Il en découle une typologie récente des structures francophones révélant ainsi les logiques de frontière qui caractérisent cette offre notamment au regard des attitudes que les entrepreneurs pédagogiques adoptent vis-à-vis de la question publique de la « formation des cadres religieux ». En définitive, la quête de formes de reconnaissance vis-à-vis des institutions publiques est-elle jugée stratégiquement et symboliquement rentable par ces acteurs ? Dans un second temps, pour mieux comprendre ce qui différencie in concreto les diverses formations existantes, nous proposerons de comparer divers cursus qui ont actuellement le vent en poupe auprès des publics d’apprenant, et ce à travers une analyse des pratiques didactiques mises en œuvre dans l’enseignement du fiqh

Hiba Abid, (CéSor), « Quand l’objet-livre fait autorité : copistes et lecteurs des manuscrits dévotionnels dans le Maghreb prémoderne. »

En prenant pour point de départ un texte emblématique de la littérature dévotionnelle consacrée au Prophète, le Dalā’il al-khayrāt d’al-Jazūlī (m. 1465), on discutera la manière dont le livre manuscrit se fait l’objet par lequel l’autorité du Prophète est pérennisée et transmise aux croyants dans le Maghreb prémoderne. Ce statut lui est conféré par les artisans du livre, mobilisant un ensemble de dispositifs graphiques, ornementaux voire picturaux, pour assurer la transmission des textes, en se conformant à un modèle manuscrit antérieur. Dans un deuxième temps, on abordera autrement cette autorité en nous plaçant, cette fois-ci, du point de vue des lecteurs des livres de prières qui la reconfigurent au gré de leurs pratiques de lecture.

Jeudi 11 février 2021, 9h30-12h30, en visio Zoom

Pierre Lassave, CéSor, EHESS, « La notion d’autorité en sciences sociales : petite excursion dans les dictionnaires »

Tel Candide on abordera la notion d’autorité à partir de ce qu’en disent les dictionnaires. Cette petite visite en bibliothèque francophone part des définitions générales, philosophiques et sociologiques notamment, pour aller à la rencontre de celles relatives aux autorités religieuses. Dans cet espace-temps occidentalo-centré, ces dernières se limitent aux définitions théologiques et aux approches historiques et anthropologiques des domaines chrétiens et plus récemment islamiques. La multiplication contemporaine des analyses de cas pose la question de la comparaison entre types d’autorité religieuse de plus en plus interdépendants entre eux et avec les institutions publiques.

Jeudi 11 mars 2021, 10h-12h, en visio Zoom

Séverine Mathieu, (EPHE, GSRL), « Autorités religieuses et révision des lois de bioéthique (2018-2020). »

Dans le contexte de la nouvelle révision des lois de bioéthique française, entre 2018 et 2020, les autorités religieuses ont été invitées à donner leur point de vue, en particulier à propos de l’ouverture de la Procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules. C’est afin d’étudier les mobilisations religieuses à l’occasion de cette révision qu’une enquête sociologique de type ethnographique a été menée et qui repose sur deux formes de matériaux. D’une part des observations réalisées lors des États généraux de la bioéthique qui se sont tenus entre janvier et mai 2018 et d’autre part, une analyse des propositions faites sur le site des États généraux de la bioéthique, ouvert entre janvier et juin 2018. Sont également exploitées des interventions dans des médias, des entretiens avec des représentants des autorités religieuses monothéistes et des documents produits par l’institution catholique.
Dans cette révision, force est de constater que ce sont surtout les autorités religieuses catholiques qui se sont mobilisées. Sans doute pour diverses raisons : l’une historique est que la religion catholique, même dans la France laïcisée et sécularisée d’aujourd’hui, reste la religion majoritaire et entend s’exprimer sur les sujets de bioéthique.
On voudrait montrer dans cette intervention comment le discours de ces autorités catholiques, tout en en en appelant à des valeurs dites « traditionnelles », s’appuie sur une bibliothèque séculière et une « rhétorique de l’anxiété ». On voit alors comment, pour faire valoir les normes procréatives qu’elle défend, dans la lignée de sa réprobation de la contraception et de l’avortement, l’institution catholique a recours à des normes séculières qui témoignent également de la sécularisation du catholicisme.

Jeudi 8 avril 2021, 9h30-12h30, en visio Zoom

Axelle Brodiez-Dolino, (CNE, CNRS), « L’abbé Pierre, prêtre préféré des Français : fabrique et temporalités d’une notoriété hors-norme. »

L’abbé Pierre reste, aujourd’hui encore, la seconde personnalité préférée des Français sur la très longue durée, nommé 16 fois au palmarès. Il a longtemps été, et reste sans doute encore, le prêtre et fondateur associatif le plus connu de France. Dans ce séminaire consacré à la « fabrique des autorités religieuses », et à la réflexion sur l’articulation des notoriétés religieuse et publique, cette intervention s’interrogera sur le pourquoi d’une telle notoriété d’une part, et sur les « dessous » de cette « fabrication » d’autre part. Avec une approche chronologique en trois temps :
1. L’abbé Pierre avant Emmaüs
2. La notoriété de l’Hiver 1954
3. Le resurgissement de l’icône (années 1980-1990).

Bayram Balci, (IFEA, Istanbul), « Fethullah Gülen, au-delà de l’autorité religieuse. »

Issu de l’islam sunnite turc de l’école hanéfite et marqué par diverses tendances nakshibendies propres à l’Anatolie, le « gülenisme » est pour le moins difficile à appréhender. Cette difficulté provient du fait que le fondateur du mouvement Fethullah Gülen lui-même a une interprétation et une incarnation complexes de la notion d’autorité religieuse. Car si au départ, dans les années 1960, l’homme et ses disciples qui vont former le mouvement s’inscrivent dans la sphère spirituelle et religieuse, à partir des années 1970, il y a un dépassement du religieux pour investir d’autres champs comme l’éducation, l’économie, le politique, et même le militaire dans la mesure où leur participation au coup d’état manqué de juillet 2016 fait consensus parmi les analystes. L’objectif de cette communication est d’analyser les différentes facettes de l’autorité chez Gülen perçu à la fois comme chef religieux, gourou, incitateur économique et leader politique au sein d’une communauté encore influente et éparpillée à travers le monde.

Jeudi 6 mai 2021, 9h30-12h30, en visio Zoom

Estelle Amy de la Brétèque, LESC, « Répertoires religieux des Yézidis (Êzidi) - Quelques réflexions sur le rôle de la musique dans la fabrication de l’autorité religieuse. »

Dans la religion yézidie la fonction de nombreux acteurs rituels est héréditaire (cheikh, pîr, qewwal). Les répertoires sacrés (qu’ils soient vocaux ou instrumentaux) sont transmis oralement et secrètement au sein de lignages spécifiques (les lignages de religieux - cheikh et pîr - et les lignages des musiciens rituels - qewwal). Pourtant il existe aussi parmi les disciples (mirîd) des experts en récitation religieuse. Cette présentation discutera les limites entre autorité rituelle et performance des répertoires sacrés des Yézidis (Êzidi).

Preciosa Dombele, LESC, « De la parole Divine au chant : le statut de la parole chantée à Hillsong Church. »

Hillsong est une église pentecôtiste transnationale fondée en Australie par un couple de Néo-Zélandais. En 37 ans d’existence, elle s’est implantée dans plus de 20 pays et dans les plus importantes capitales du monde. La clé de son succès et de son expansion rapide passe par la musique de culte aux sonorités pop rock et électroniques, des services dynamiques et une grande maîtrise des nouvelles technologies au service de la modernisation du rituel. Cette musique de culte a pour rôle d’enseigner la doctrine et les croyances bibliques au travers des mélodies modernes et des paroles qui reflètent leur credo. Basée sur des enquêtes de terrain auprès des églises Hillsong de Londres, Paris et Sydney, cette présentation s’intéresse à analyser comment la musique de culte se montre efficace en donnant du sens aux actions rituelles et en transformant en chant la parole dite divine. Cette immersion dans le monde d’Hillsong sera l’occasion de voir la création de récits personnels et collectifs au travers de la musique et le renforcement du rapport de l’individu avec la parole divine. En outre, il s’agira d’examiner le rôle joué par le chanteur principal, appelé le worship leader, qui possède un statut presque équivalent à celui du pasteur. Celui-ci incarne l’image de l’église auprès des fidèles et joue un rôle prépondérant dans la construction de la communauté religieuse locale, autant que transnationale.

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