logo-iremam

Hommages à Maurice Flory par Jean-Robert Henry et Ahmed Mahiou  

Maurice Flory 1925-2021 par Jean-Robert Henry   

Maurice Flory, décédé le 20 novembre 2021 à Aix, a eu une longue et belle carrière universitaire : docteur en droit à 25 ans, agrégé à 27, il enseigne d’abord à la Faculté de Droit de Rabat (1952-1956), puis exerce entre 1956 et 1967 à la Faculté de droit d’Aix où il reviendra en 1971 finir sa carrière, marquée notamment par la présidence de l’agrégation de droit public.

Mais Maurice Flory fut aussi un homme d’engagements intellectuels et pratiques. Issu d’un milieu chrétien ouvert sur la société et sur le monde, avec son grand-père, le philosophe « moderniste » Maurice Blondel et son père Charles Flory, président des Semaines sociales de France, il sut pour sa part relever les enjeux de son temps en se montrant très sensible au processus de décolonisation et aux attentes des pays et sociétés du Sud. Ceci se refléte dans sa réflexion juridique, qui n’hésite pas à prendre position en faveur de l’indépendance de l’Algérie ou sur la question palestinienne. Il fut aussi un pionnier du « droit international du développement », qui espérait combler les lacunes du droit international classique en instaurant un ordre international plus juste, une préoccupation qu’on retrouve également dans ses écrits sur la question méditerranéenne. Son engagement fut aussi pratique, en acceptant des charges institutionnelles liées à la mise en œuvre de la décolonisation et de la coopération nord-sud. C’est ainsi qu’il revient assurer au Maroc de 1967 à 1971 les fonctions de conseiller culturel de l’Ambassade de France et de chef de la Mission culturelle française au Maroc. C’est aussi dans cet esprit qu’il accepte à son retour à Aix en 1971 la direction du CRESM (Centre de recherches et d'études sur les sociétés méditerranéennes) et le pilotage de l’Annuaire de l’Afrique du Nord. A la fin de son mandat en 1984, il participe activement au projet de création de l’IREMAM confié à André Raymond, en favorisant la transition entre les deux institutions de recherche.

L’engagement de Maurice Flory en faveur de la décolonisation fut parfois plus politique. C’est ainsi que le jeune universitaire joua un rôle officieux dans la négociation destinée à favoriser le retour au Maroc du roi Mohamed V, qui avait été envoyé par la France en résidence surveillée à Madagascar en 1955. Au cours des missions qu’il effectua dans ce pays, il noua des rapports de confiance avec le sultan qui lui confia par ailleurs un rôle d’accompagnateur intellectuel du prince héritier, le futur Hassan II. La relation se poursuivit avec le jeune fils de celui-ci.

On ne peut évoquer le parcours de Maurice Flory sans souligner les qualités humaines de modestie, de désintéressement et de bienveillance, qui facilitaient tout ce qu’il entreprenait et rendaient la collaboration avec lui agréable et féconde.            

Hommage à Maurice Flory par Ahmed Mahiou

En quelques mots, je connaissais depuis longtemps certains écrits de Maurice Flory, mais je ne l’ai rencontré que bien plus tard, plus précisément lors d’une conférence qu’il est venu prononcer dans la nouvelle ENA de l’Algérie indépendante au début des années 1960, alors que j’étais assistant à la Faculté de droit d’Alger et à l’ENA. Naturellement, nos rencontres se sont multipliées, surtout à Aix en Provence où je passais souvent et où j’ai été professeur associé pendant deux années au tout début des années 1980, à son invitation. Pendant cette période se sont forgées l’amitié et l’estime mutuelle qui se sont muées en connivence, parce que le précurseur et adepte du droit au développement est devenu, pour le jeune agrégé que j’étais, mon guide dans cette nouvelle discipline, dont le statut était alors contesté.

J’ai trouvé là une matière qui collait aux nouveaux espoirs d’émergence des pays décolonisés dans la société internationale, à la recherche de principes et règles pouvant justifier et porter leurs espoirs de développement économique et social. C’est dans ce cadre que j’ai adhéré à la naissance de la nouvelle école française du droit international du développement qui venait de naître et dont il était l’une des membres éminents, avec d’autres comme les professeurs Virally, Dupuy, Feuer, Touscoz, etc… auxquels je rends également hommage. Ce que je retiens de l’action de Maurice Flory, ce sont les écrits et les efforts déployés pour la reconnaissance de cette nouvelle branche du droit international, quel que peu rebelle et encore mal perçue à cette époque, car soupçonnée de remettre en cause les bons vieux principes du droit international dominant basé sur le libéralisme économique et la prédominance des puissances occidentales.

A cette époque, par son ouverture d’esprit humaniste et généreuse, il a compris d’instinct la nécessité, non seulement de comprendre l’évolution internationale et la fin de la colonisation, mais d’en être le témoin et même le porte-parole dans un monde juridique très formaliste, abstrait et conservateur. Il s’est engagé, à la fois par sa plume, les projets et la pratique des accords de coopération internationale et d’échange, qu’il a lancés dans l’enseignement et la recherche entre les rives nord et sud de la Méditerranée. Bien que sa vision soit internationale et donc universelle, il a privilégié le Maghreb et le monde arabe et musulman, notamment avec deux grandes publications : l’Annuaire de l’Afrique du Nord devenu Année du Maghreb et la Revue des mondes méditerranéens et musulmans.

L’expert internationaliste qu’il était ne s’est pas du tout enfermé dans cette spécialité et il s’est lancé à la découverte du monde arabe et surtout du Maghreb, notamment le Maroc où il a été un influent interlocuteur de la Monarchie marocaine. Il a également rendu compte des différentes relations et négociations officieuses ou officielles entre les autorités françaises et les dirigeants de la révolution algérienne pour faire connaître et comprendre en France la lutte de libération algérienne à travers sa spécialité d’internationaliste. Il fallait avoir un certain courage et une certaine audace politique pour s’immiscer dans ces tractations complexes et parfois dramatiques de cette guerre d’Algérie, en raison notamment de la grande césure apparue dans le monde politique français sur le statut de l’Algérie française.

A ce titre, il fait partie de la longue lignée de ces grands passeurs de messages entre pays et civilisations ; ce sont ceux qui montrent que la civilisation humaine et une et que tout un chacun - qu’il soit développé ou en développement, riche ou pauvre, d’une région ou d’une autre, d’une religion ou d’une autre - apporte toujours quelque chose de plus ou de mieux pour participer à la construction d’un monde nouveau. Il y croyait sincèrement et il a beaucoup aidé à faire partager ce message par la communauté internationale au fur et à mesure qu’elle s’organisait. Malgré les difficultés et drames liés à la décolonisation, non seulement il croyait profondément à la coopération internationale et au dépassement des graves divisions qui prévalaient alors, mais il a pratiqué cette coopération, en tissant des liens intenses entre les deux rives de la Méditerranée, pour ne pas insulter l’avenir, et leur permettre de perdurer quelles que soient les péripéties des relations politiques.